ORAGES DU 6 JUILLET 2001
SUR LE NORD-EST DE LA FRANCE
Dossier mis en ligne le 04/10/01
Sources : Météo-France, DNA, Wetterzentrale

 

1 - SITUATION METEO

L'anticyclone est positionné sur les Açores et la France se situe dans une zone dépressionnaire depuis 3 jours. La dépression qui était alors dans le Golfe de Gascogne a progressivement traversé le pays dans la journée du 6 en prenant la direction du nord-est. Elle a atteint en son centre autour de 998 hPa. Le front froid associé a balayé toutes les régions du Sud-Ouest au Nord-Est, avec de nombreux orages, de fortes pluies, des chutes de grêle et de violentes rafales de vent. Ce front s'est formé à la limite entre l'air très chaud qui affectait l'Est de la France et l'air frais en provenance de l'Atlantique, le contraste de température atteignant parfois jusqu'à 10°C et plus sur une distance d'une centaine de kilomètres.

Pour voir les cartes d'observations et d'isobares sur l'Europe entre 16 et 24 TU, cliquez sur l'heure souhaitée ci-dessous.

Note : n'oubliez pas que pour obtenir l'heure locale, il faut rajouter 2h à l'heure TU.

 

2 - REPERAGE ET SUIVI DU PHENOMENE

 

A l'aide des images satellite infra-rouge et des images radar, on distingue à partir de 16 TU, l'organisation très nette d'une ligne convective (cumulonimbus) très active partant du Languedoc-Roussillon et remontant vers la Bourgogne sur un axe Sud/Nord. Ceci est d'ailleurs confirmé par les nombreux impacts de foudre présents le long de cet axe. Sur l'IR, cela se traduit par une énorme masse nuageuse compacte et très blanche (sommets des nuages les plus froids). Sur la mosaïque radar, on repère une ligne rouge orangé (fortes précipitations) de Narbonne à Troyes. La couleur rouge sur les images radar signifie aussi très probablement la présence de chutes de grêle.
 
Image radar de 15h45 TU
   
Image satellite de 19h30 TU
 
A partir de 18 TU, cette ligne convective se sépare en deux morceaux, le premier intéressant la basse vallée du Rhône, le deuxième le quart Nord-Est. C'est à partir de ce moment là que les choses s'emballent sur les régions du Nord-Est, à savoir la Franche-Comté, l'Alsace et la Lorraine. C'est une véritable "bombe" électrique qui prend naissance et qui progresse à près de 20 m/s en direction du nord-est, visible sur l'IR sous la forme d'une imposante boule blanche.

 

Pour voir l'animation des images visibles de la journée du 06/07/2001, cliquez-ici (taille 2,95 Mo).
 
Pour voir l'animation radar de l'épisode orageux de la journée, cliquez ici (taille 1,1 Mo).
 
A voir également, les images satellites (infra-rouge) entre 16 et 24 TU, cliquez sur l'heure souhaitée ci-dessous.
Animation (2,7 Mo)

 

La carte des impacts de foudre nous permet de suivre l'évolution orageuse de la journée. Dès le matin, les premiers orages éclatent sur le quart Sud-Ouest, puis c'est une véritable ligne orageuse qui se forme en quelques heures du Roussillon à la Bourgogne, avec une augmentation considérable des impacts de foudre vers 15-16 TU. La partie septentrionale de cet axe traverse alors le Nord-Est dans la soirée avec une activité électrique encore accrue.
       
 
 
Densité des impacts sur 24 heures
Localisation des impacts sur 24 heures
 

 

3 - FORMATION DU FRONT ORAGEUX

Comment de tels orages ont-ils pu prendre naissance ? En fait, au départ, c'est une situation presque classique. Plusieurs éléments caractéristiques sont repérables :

- l'air très chaud de basses couches (températures de 25 à plus de 30°C) remontant du sud sur la moitié Est depuis 2 à 3 jours dû au minimum s'enroulant dans le Golfe de Gascogne ;

- l'invasion d'air frais et océanique sur la moitié Ouest (moins de 20 à 25°C) ;

- un élément très important : une ligne de convergence des vents en surface (voir plus bas) très marquée avec des vent d'est à sud-est sur la moitié Est et des vents d'ouest à nord-ouest sur la moitié Ouest. Ce phénomène renforce les ascendances, l'air étant contraint de s'élever à la limite des deux courants de direction opposée ;

- de l'air froid en altitude.

Jusque là a priori, rien d'exceptionnel, ce sont tous les ingrédients nécessaires pour la formation d'orages parfois puissants sur la ligne de convergence des vents et à la limite des deux masses d'air.

Pour voir le déplacement des lignes de convergence, cliquez sur l'heure souhaitée ci-dessous.

 

4 - POURQUOI UN PHENOMENE SI VIOLENT ? EXPLICATIONS...

A tous ces ingrédients s'en rajoutent d'autres plus difficiles à cerner :

- la présence d'un courant-jet de sud-ouest en altitude d'environ 120 à 150 km/h (au-dessous du niveau de la tropopause, la limite entre la troposphère et la stratosphère), axé de la côte catalane au sud de l'Allemagne ;

- toujours à cette même altitude, une diffluence marquée sur le Nord-Est de la France (les vents qui soufflaient fort sur un axe rectiligne se mettent à diverger en perdant de leur intensité), ce qui favorise aussi de fortes ascendances au-dessous (l'air est aspiré vers le haut). C'est ce qu'on appelle la sortie gauche du jet, une configuration d'altitude favorable à la formation de puissants mouvements verticaux (ascendances/subsidences) ;

- au niveau de la tropopause, le déplacement de ce qu'on appelle une anomalie de tropopause (zone d'air sec et statosphérique s'enfonçant dans la troposphère, qui crée un mouvement tourbillonnaire, repérables par les zones noires et sombres sur l'image vapeur d'eau) se déplaçant le long du côté gauche du jet, des Pyrénées au Nord-Est. Cette anomalie rentre en intéraction avec le courant-jet, et force l'air à se soulever à l'avant de son déplacement, et à s'affaisser à l'arrière ;

- une invasion d'air froid et sec dans les couches moyennes de l'atmosphère (conséquence du dernier point) ;

- un jet de sud à sud-est de basses couches ( < 1500m) cette fois-ci, remontant de la Méditerranée à la façade Est. Ce jet transportait entre autres des particules de sable, ce qui rendait l'atmosphère plus ou moins trouble, le ciel laiteux, d'une couleur bleu jaunâtre ou blanchâtre. C'est ce qu'on baptise le sirocco en Méditerranée. Il a contribué à assécher la masse d'air sur l'Est du pays.

Pour suivre l'anomalie de tropopause sur l'image vapeur d'eau, cliquez sur l'heure souhaitée ci-dessous.

Si vous avez réussi à suivre jusque là (ouf !) alors les choses vont commencer à s'éclaircir (ou le contraire !). Tous ces éléments en intéraction ont contribué à la formation de puissants mouvements ascendants surtout sur le quart Nord-Est du pays, débouchant sur l'amplification des cellules orageuses déjà formées d'elles-mêmes, ou leur création. De plus, lorsqu'on regarde un radiosondage ce vendredi 6 vers midi sur le Nord-Est, on constate ce qu'on appelle un cisaillement de vent, conséquence directe des éléments précités : le vent se renforce lorsque l'altitude augmente, et sa direction tourne dans le sens des aiguilles d'une montre. Plus cette rotation est marquée, de même que l'augmentation de l'intensité, plus cela sera favorable à la création de tourbillon à axe horizontal. Avec les mouvements ascendants, l'axe du tourbillon est contraint de se redresser, on obtient un tourbillon à axe vertical, véritable moteur d'une machine desctructrice, le cumulonimbus (Cb). Lorsque le tourbillon est très fort, il peut alors conduire à la formation de tornades. Une trombe a d'ailleurs été observée près de Marckolsheim (sud du Bas-Rhin) pendant l'épisode orageux.

Pour voir le radiosondage de Nancy du 06/07/2001 à 12 TU, cliquez ici.
 
Pour voir le radiosondage de Lyon du 06/07/2001 à 12 TU, cliquez ici.

Notez sur le radiosondage de Nancy l'intrusion d'air sec repérable à 500 hPa par l'écart entre la courbe grise (équivalente à la température du "thermomètre mouillé") et la courbe blanche (température de l'air), ainsi que le cisaillement de vent grâce à l'hodographe (somme des vecteurs vent relevés sur le radiosondage) en haut à droite. Remarquez également la forte valeur de CAPE (énergie potentielle utilisable par une particule pour s'élever dans la troposphère), qui marque un état très instable de la masse d'air.

Sous le Cb, de forts courants descendants se produisent et accompagnent les précipitations, c'est le courant de densité (air froid et sec). Il se forme dans les couches moyennes (entre les surfaces 500 et 700 hPa). C'est ce courant qui, lorsqu'il s'écrase sur le sol, donne naissance aux rafales (parfois dénommées "micro-burst" ou "macro-burst"), celles-ci pouvant atteindre parfois jusqu'à 200 km/h. C'est sans aucun doute ce qui s'est passé sur le Nord-Est, et plus particulièrement dans le parc de Pourtalès à Strasbourg, et qui a engendré cette conséquence dramatique. Il est malheureusement impossible (pour l'instant) de prévoir un phénomène qui se produit à une si petite échelle. Ce qu'on peut prévoir, c'est un ordre de grandeur des rafales sous orages, en prenant la vitesse du vent maximal estimé par les différents modèles entre les surfaces 500 et 700 hPa. Pour cet épisode orageux en l'occurrence, elles allaient jusqu'à 100 à 120 km/h, c'est ce qui s'est réellement passé en règle générale. Pour couronner le tout, le vent très sec (sirocco) qui soufflait à l'avant du système orageux ne faisait que le renforcer, du fait de l'évaporation, et donc du refroidissement qu'il provoquait (contribution au mouvement vertical et au courant de densité).

5 - L'ORAGE VU D'ILLKIRCH...

Voilà maintenant mon témoignage de ce qui s'est passé en Alsace, et plus particulièrement à Illkirch (banlieue sud de Strasbourg).

Dans la journée, il faisait très chaud et très sec avec une température maximale de 31/32°C et une humidité relative descendant jusqu'à 30%. Des Altocumulus castellanus (nuages typiquement pré-orageux) s'étaient formés dans l'après-midi, couvrant partiellement le ciel, puis soudainement plus rien. Un ciel devenu complètement dégagé vers 17h, toujours chaud et sec, avec un faible vent de nord-est. L'atmosphère, comme je le disais plus haut, paraissait trouble et blanchâtre, ou jaunâtre, sans doute du fait de la présence de poussières sablonneuses. C'était bizarre, une chaleur toujours étouffante vers 21h avec encore autour de 30°C ! et une pression en baisse continue. Puis entre 21h et 21h30, je commence à voir un voile nuageux arriver, de plus en plus sombre, noir et opaque. Puis vers 21h45, le vent tourne brutalement au sud-ouest puis au nord-ouest et commence à se renforcer, et des nuages bas type stratocumulus ou cumulus fractus commencent à défiler à toute allure dans le ciel. Les premières gouttes commencent à tomber, puis de nombreux éclairs commençaient à apparaître dans le mur noir qui se dirigeait droit devant (sans doute l'arcus, mais j'avais du mal à le distinguer, j'avais une mauvaise vue de chez moi), avec de lointains roulements... Soudain, c'est la tempête, le vent souffle à une vitesse incroyable (que j'ai estimé à 100/110 km/h en rafales), et je vois passer devant ma fenêtre d'innombrables brindilles, feuilles et petites branches cassées. Un arbre (avec un tronc assez souple je dois dire !) était quasiment plié en deux. Puis soudain, un énorme craquement, c'était une grosse branche d'arbre qui venait de casser et de tomber entre 2 voitures ! C'était ahurissant, pendant 10 minutes, le vent semblait se renforcer sans cesse, tandis que le tonnerre et les éclairs se rapprochaient de plus en plus. Entre 22h et 22h15, c'est la totale, la pluie qui battait avec un vent tourbillonnant, une chute de température de presque 10°C, des éclairs se déclenchaient toutes les 2 à 3 secondes, et les coups de tonnerre faisaient de plus en plus de fracas, et une pression remontant soudainement de 9 hPa. Les premières sirènes de pompier se mettent alors à retentir. Le vent se calme un peu, mais la pluie, le tonnerre et les éclairs sont toujours aussi forts jusque vers 22h30 puis perdent progressivement leur intensité tandis que l'énorme masse sombre et compacte s'éloigne vers le nord-est. C'est alors la grande sirène d'alarme qui retentit, annonçant le plan rouge, sans doute suite aux dégâts de Pourtalès. Entre 23h et 23h30, la pluie cesse, les éclairs s'éloignent, c'était un véritable chaos. Plein de branches d'arbres, petites ou grosses, arrachées partout, des arbres déracinés par endroits, et ces sirènes qu'on entendait sans arrêt... Le ciel était redevenu plus ou moins nuageux, avec plus un seul souffle d'air.

 

6 - RELEVES

 

Pour voir la carte des valeurs du vent maximal instantané sur le Nord-Est relevées le 06/07/2001, cliquez ici (format .png). Source : Météo-France.

 

 
 
Température de l'air et de rosée à Strasbourg-Entzheim (aéroport) entre le 06/07/2001 à 12 TU et le 07/07/2001 à 03 TU
 
Pression et vent maximal instantané à Strasbourg-Entzheim (aéroport) entre le 06/07/2001 à 12 TU et le 07/07/2001 à 03 TU

 

 
 
Force et direction du vent maximal instantané à Strasbourg-Entzheim (aéroport) entre le 06/07/2001 à 12 TU et le 07/07/2001 à 03 TU
 
Cumul des précipitations à Strasbourg-Entzheim (aéroport) entre 19 et 23 TU le 06/07/2001

Graphiques élaborés grâce aux données de Météo-France.

7 - REVUE DE PRESSE

 

 

8 - BILAN METEO-FRANCE AU LENDEMAIN DU DRAME

Situation orageuse sur la France du 4 au 7 juillet

Toulouse le 7 juillet à 12h50

Une situation orageuse de grande ampleur sur la France était prévue depuis plusieurs jours. Dans les grandes lignes, elle s'est produite comme prévu.
Dans la nuit de mercredi à jeudi, les régions du Limousin et du nord de Midi-Pyrénées ont été particulièrement touchées (notamment Corrèze et Creuse). Dans la nuit de vendredi à samedi, l'essentiel de l'activité a concerné le nord-est du pays, la prévision s'étant révélée très bonne sur ces régions au vu de l'état de l'art. En marge de cette "zone principale", le rabattement d'une ligne orageuse sur la région parisienne, et surtout le fait que celle-ci stagne plusieurs heures sur place (ce qui a conduit à des cumuls de précipitations très importants) était moins bien prévu, mais le suivi en permanence de la situation a permis d'alerter la Sécurité civile en pleine nuit alors que les 2/3 de la quantité de pluie étaient encore à venir. Mais vu les dégâts constatés (à Strasbourg, mais aussi en Lorraine, dans le Morvan etc.), l'essentiel est bien dans la partie correctement prévue sur le quart nord-est.

Communiqués météorologiques de presse nationaux

- le 3/7 à 12 h 42 (validité 26 heures) : annonce du début de la période d'intempéries,
- le 4/7 (validité 48 heures) : description de l'essentiel de la chronologie des événements,
- le 6/7 à 15 h 56 (validité 20 heures, soit jusqu'au 7 à midi) : insistance sur le quart nord-est pour la nuit suivante.

Le vent à Strasbourg

Contrairement à ce qui a été entendu dans certains médias, il ne s'agit pas d'une "mini-tornade" dont les dimensions n'auraient pas permis l'observation par le réseau de Météo-France et encore moins la prévision quelques heures à l'avance. Il s'agit d'une "ligne de grains" organisée, de taille caractéristique de 300 km environ. Des rafales de vent supérieures à 100 km/h ont été observées dans de nombreuses stations du quart nord-est. A Strasbourg-Entzheim on a relevé 96 km/h, ce qui est à peine moins. Le phénomène observé à Strasbourg, comme le confirment les images radar, n'est ni plus ni moins violent que sur les régions voisines.
En termes de prévision (voir les BRAM et le communiqué de presse), le caractère vigoureux des orages dès le début de nuit est très bien annoncé. Les médias ont d'ailleurs repris abondamment les prévisions, et le public a donc été bien averti : le reproche qu'on nous fait parfois– « Météo-France ne prévient que la Sécurité civile » – n'est donc pas pertinent.

Cartes de vigilance

La carte de vigilance est produite en mode expérimental, en attendant un démarrage opérationnel le 1er octobre comme convenu avec la DDSC. Les cartes produites jeudi après-midi, vendredi matin et vendredi après-midi colorent en orange une large moitié est de la France (à l'exception du littoral méditerranéen), puis au fil de l'évolution voient le jaune gagner par l'ouest. Il faut garder en tête que la couleur orange est à un niveau de danger météorologique supérieur à celui d'un simple BRAM.

Communiqué du Centre opérationnel de gestion interministérielle des crises

La direction de la Défense et de la Sécurité civiles du ministère de l’Intérieur a publié un communiqué dès le jeudi 5 juillet au soir :
Suite au contexte météorologique particulièrement défavorable (fortes précipitations, orages violents et vents forts) annoncé par Météo-France sur 57 départements de la moitié Est de la France, la Sécurité civile invite la population à prendre toutes les mesures de précaution et à limiter les déplacements extérieurs pendant toute la durée de l’épisode pluvieux de cette nuit et du vendredi 6 juillet 2001.
Elle attire notamment l’attention des campeurs sur les risques d’inondations rapides et de chutes d’arbres et met en garde contre le risque de foudroiement, deux personnes ayant été touchées par la foudre depuis 24 heures.

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